L’HOMELIE ABJECTE DE DJ ZUKRY

Mozart est mort à 35 ans. J’en ai 25. Un bon génie est un génie mort. Je suis encore vivant. Autant m’avouer que tout me sépare de Mozart. La musique classique m’ennuie. Faire mes courses au supermarché Champion m’amuse. Les caissières sont mes chefs d’orchestre : elles font défiler les notes sur le tapis roulant et je m’installe près du lecteur de carte bancaire afin de jouer ma partition. Hier, je me suis offert un trombone. Je passe des heures à reluquer, les yeux ébahis et les lèvres distendues, la couleur du piston et de la coulisse. Dans les pièces de théâtre boulevardière - dont la vedette est le lamentable Henri Guybet - les valets s’appellent toujours Octave. Mozart n’avait pas de valet. Amadeus fut enterré dans une tombe anonyme. Je ne suis pas un nécrophile. Robert Hue n’est pas un leader. Franz Schubert est le plus grand compositeur de lieder. Nietzsche a t’il fait caca chez Wagner ? Quand je parle de musique classique à mon voisin je prends toujours des airs contrits et constipés : c’est mon côté religieux. Beethoven était surnommé le «poète de l’héroïsme » suite à l’écriture de l’opéra Fidelio. Beethoven était sourd et romantique. Laurent Ruquier est myope et con. L’humanité est ainsi faite. Michel Audiard disait qu’un intellectuel assis ira toujours moins loin qu’un con qui marche. Audiard n’aimait pas les intellectuels. Audiard aurait rêvé qu’on l’appelle Louis-Ferdinand Céline. Le style de Céline est musical, celui de Christine Angot est minable. Je me souviens qu’une camarade de classe nous vantait les bienfaits de la musique classique en tant qu’accompagnement sonore à la lecture. Quelle idiote ! Le bruit et la fureur de lire ne sont pas mes deux mamelles de la transe. William Faulkner avait t’il des 78 tours de Brahms ? A partir de quand devient-on classique ?

J’aime écouter le son de la trompette, du tuba et d’Antonio Carlos Jobim. Jobim n’est pas un instrument de musique : c’est un génie. Je suis encore vivant. Jobim est mort en 1994. Ses mélodies doivent beaucoup à Ravel, Chopin et Debussy. Heitor Villa-Lobos est le père de la musique savante au Brésil. Ses « Bachianas Brasileiras » s’inspirent du travail de Jean-Sébastien Bach. Faut-il avoir un nom composé pour être un génie ? Les gens veulent savoir. Par exemple, Marc-Edouard Nabe n’est pas un génie car il n’est pas encore mort. Jean-Edern Hallier n’est pas assez mort : il n’est donc pas encore un génie. Ce raisonnement est tout à fait cohérent et subjectif. Pourquoi les Autres utilisent t’ils des thèmes «classiques» comme sonnerie de leur portable ? Y’a t-il un lien entre la téléphonie mobile et la musique baroque ?

Pendant ce concert je vais essayer de pleurer comme si j’étais imprégné de la tête à l’âme par ces mélodies doucereuses. Pour m’y encourager, je vais consommer de l’alcool en grande quantité : je fais partie de la vieille école. Y’aura t-il un orgue ce soir ? Dans le Jazz, l’orgue avait le cul entre la nostalgie des rengaines du père Bach et le côté plus balourd du Rythm’N’Blues. Je parle toujours du Jazz au passé mais de ses musiciens au présent. Les musiciens de ce soir n’ont pas l’ambition de réconcilier le Jazz et la musique classique. A mon avis, si peu humble soit-il, mettre deux cadavres dans le même cercueil aurait pourtant permis de libérer de la place pour les chanteurs français. Ah, j’aimerais tant voir disparaître de notre paysage - suffisamment pollué par les rockers – les Goldmann, Sardou, Hallyday, Aznavour et consorts. Je ne suis pas un fanatique.


Texte écrit à l’occasion d’un concert au bar Le Coucou
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