Half : Alors, mon cher Zukry, voici que nous nous retrouvons devant nos verres respectifs, à la Veuve Coudère. Toi devant ton demi-biafrais, moi devant mon Monaco sans alcool. Dehors, les lectrices de Bigorno nous jettent des regards enamourés, leurs carnets à dédicaces tendus désespérément vers la devanture impassible. Voilà que sur le trottoir d'en face passe Nerf Salissantor, et les femmes nous oublient un peu. Nous allons donc pouvoir commencer cette conversation.
Avant toute chose, donc, il nous faut trouver un sujet. La vérité en fourrure, le mensonge en redingote. Ce café se veut le lieu d'un débat philosophique (et littéraire). Il s'agit de ne pas se tromper dans nos questionnements. Tu veux que j'ouvre les hostilités ?

Zukry : Allons-y ! Je constate que tu empruntes ton langage aux militaires, sans doute pour me rappeler qu’entre août 1998 et mai 1999 j’ai combattu sous un drapeau froissé qui n’évoquait pour moi qu’une succession de couleurs douteuses. Mais tu as raison, envisageons cette conversation divagante en termes stratégiques !

Half : Il se trouve que depuis quelques temps, je m'interroge sur un problème que je rencontre tous les jours : pourquoi ? mais pourquoi les meilleurs écrivains français sont-ils toujours de droite ? Y a-t-il une raison majeure au fait que la lecture de Céline me plonge dans un état de jubilation quasi extatique alors que celle de Daniel Pennac me donne envie de dormir ? Comment se fait-il que la fréquentation assidue de Léon Bloy ou celle de Dominique de Roux me donne la sensation de m'élever alors que celle d'Alexandre Jardin fait faner toutes les fleurs de mon enthousiasme ? La littérature demande du nerf, de la force, le style ne doit pas être académique, mais il exige une rigueur toute militaire, un panache que l'on ne retrouve qu'à droite... La littérature est-elle fasciste ?

Zukry : Tu as remarqué qu’à peine as-tu évoqué, avec un ton un peu vicieux je trouve, le patronyme de L-F Céline que les quelques gauchistes frelatés du coin tournent de l’œil, l’oreille en vrille, prêts à dégainer leurs colts de bonne conscience moraliste. Je crois que la littérature n’est ni de gauche, ni de droite : elle n’est pas une girouette. Disons que les auteurs que tu as cités ; comme Bloy, Céline, de Roux… et bien d’autres dont nous aurons sans doute l’occasion de frôler le talent de nos mains fines et blanches, ces individualités placent le « moi-tout-puissant » au centre de leurs œuvres, se méfient de « l’esprit de groupe » au nom de principes aristocratiques. Soyons sérieux et léger, laissons la question du fascisme aux journalistes de Télibérama !

Half : Tu as raison : la littérature du Moi contre la littérature du Nous. Pour en finir avec le « clivage » droite-gauche, puisque comme tu le dis si bien la littérature n’est pas une girouette, l’égocentrisme serait de droite, et l’« esprit de groupe », le « Sozial » cher à Céline, de gauche. Mussolini contre l’Abbé Pierre. Et ce serait ce « Moi-ichtyosaure » (Powys) qui classerait, dans l’esprit de la gauche molle de notre moche Gaule, la littérature que nous défendons, résolument à droite.

Zukry : A tribord la houle fait plus de vagues.

Half : On trouverait donc aussi, d’un côté, la minable chronique des « petits faits vrais » à la Delerm et les compte-rendus frigides des baisades glauques de Catherine Millet et Virginie Despentes – et de l’autre côté, la Vie taillée à même la chair, l’émotion écrite, la peau sur la table, la mystique sublime de l’Etre. A tous ces pauvres auteurs qui tremblent devant leur propre reflet et se lancent à corps-perdu dans la défense de l’autre et la bonne conscience à peu de frais (tiens, il y a longtemps que je ne me suis plus indigné, je vais écrire un livre contre Le Pen !), nous préférons mille fois le vrai martyr, l’écrivain qui ose se montrer au grand jour, dans sa monstruosité superbe ! « Le premier "je" que je pose sur la feuille, c'est l'extermination des six milliards d'individus que nous serons bientôt », dixit M.-E. Nabe.

Zukry : Pour en revenir à Catherine Millet, il faut tout de même avouer qu’elle ne peut provoquer que des érections mollassonnes ; c’est la déroute de la chair en croûte. Je préfère lire la prose jargonneuse d’un gynécologue plutôt qu’avoir à subir ce style qui n’en est pas un. Il est devenu plus facile de montrer son triangle de Reyes ou sa bite de Zagdanski que de foutre à poil son « je », alors qu’évidemment l’impudeur se cache sous la peau. Je ne parle pas d’introspection car ce terme à des atours médicaux qui sentent le chloroforme ; la mort donc. Les cliniciens de l’âme m’intéressent peu. Marc-Edouard Nabe, aux antipodes de ces écrivassiers, est l’archétype de l’écrivain qui ne s’auto-analyse pas, plutôt debout qu’allongé sur un divan. Il choisit la vie à la réflexion sur la vie ; d’où son mépris pour les intellectuels sartriens ou debordiens. C’est d’ailleurs une constante que l’on retrouve chez les auteurs que nous chérissons.

Half : Si l’écrivain se met à nu dans son livre, il ne doit pas avoir besoin de le faire aussi sur la couverture : à quoi bon ces redondances ? On se croirait dans Mon curé chez les nudistes…

Zukry : Des séquences piteusement érotiques sur un fond de Georges Bernanos ou Le journal d’un curé de campagne qui aime les seins pointus.

Half : Le lecteur doit être capable de comprendre sans qu’on l’aide qu’en lisant un livre, il rencontre l’auteur en chair et en os, en sperme et en sang. Il y a tellement de livres qui paraissent à chaque rentrée littéraire… si je n’ai pas l’impression en lisant de toucher la vérité du doigt, le livre me tombe des mains. La vérité, c’est l’émotion, on se retrouve toujours au même point. Le point G de l’écriture ! L’émotion, qui n’a rien à voir avec les « bons sentiments ». Laissons ceux-ci aux « bons auteurs », ceux qui se pressent chez Frédéric Ferney le dimanche matin pendant la messe (mauvais chrétiens !).

Zukry : Pendant Téléfoot surtout. Ah ! Zidane : le Dieu de la monosyllabe ! Permets-moi de digresser en diagonale. Tu connais mon amour immodéré pour la Bossa Nova, pour J. Gilberto, A-C. Jobim, B. Powell, M. Creuza et tous ces poètes brésiliens… La Bossa Nova c’est une respiration à contre-temps, un visage en contre-jour : de l’émotion sans pathos. J’ai horreur des chansons lacrymales qui parlent au kleenex avant de s’adresser au cœur. Quand les autres chanteurs gueulent c’est sans doute pour se convaincre qu’ils sont émouvants. L’émotion doit être naturelle ; et le naturel c’est ce qui demande le plus de travail, d’acharnement et de sueur.

Half : Voilà ! L’émotion n’a rien à voir avec le larmoyant, le pathétique, le mélo-guimauve : marre de cette culture d’éplucheurs d’oignons ! Il faut avoir le courage d’être naturel, d’être soi-même, et pas une parodie d’artiste-maudit-mal-aimé-mal-compris-mal-foutu.

Zukry : Le syndrome Rimbaud !

Half : On vit dans une société où l’art se mesure aux litres de larmes versées. Les gens s’agglutinent devant Delarue ou les téléfilms de M6, le mouchoir à la main, en glapissant « que c’est beau ! » tout en se tamponnant les yeux rougis par leur émoi de pacotille. Pas de sentimentalisme, de l’émotion ! C’est ce qui est le plus dur à transcrire, et ça ne supporte pas la caricature. Mais c’est ce qui donne, non pas la meilleure littérature, mais la seule littérature possible ! C’est Björk contre Jacques Brel, Guignol’s band contre La Dame aux camélias ! Fini de geindre, vibrons !!!

Zukry : Des vibrations d’enthousiasme, de plaisir ! J’ai des souvenirs d’émotions littéraires qui surgissent de l’ambre doré de ma bière. Ingrid Caven, de Jean Jacques Schuhl. Roman de l’élégance. Du grand dandytisme ! J-J Schuhl tire la langue française vers le haut, s’attache à d’infimes détails comme on se pend à une corde : avec une méticulosité épatante ; aucun risque de se louper. L’histoire, l’ « intrigue » peuvent bien rester en marge, ce n’est pas cela que je recherche. J’aime les lentes divagations de Schuhl, son humour distancié et noir, son cynisme : au sens où l’entend Ambrose Bierce – « Grossier personnage dont la vision déformée voit les choses comme elles sont, et non comme elles devraient être ». Tu as remarqué que lorsque je cite des auteurs je ne peux m’empêcher de cabotiner : voilà que je fais mon Fabrice Luchini !

Half : Luchini, l’intello de service pour les heures de grande écoute. Avec son air halluciné et le capital-sympathie qu’il transporte, il est idéal pour animer aussi bien une émission d’Arthur, que d’Ardisson ou de Pivot. La cuculture à sa mascotte, qui peut lui réciter du Flaubert, du La Fontaine ou du Céline, sur simple commande. Et pas de bouton « stop eject » : quand c’est parti c’est parti. Tant que la littérature aura ce singe pour seul et unique représentant, elle ne risque pas de beaucoup déranger les médias. Tiens, juste un petit sondage : combien de gens ont déjà vu à la télévision le visage de Schuhl, de Benoît Duteurtre ou de Patrick Besson ?

Zukry : Il y a une technique pour les reconnaître. Quand ils passent à la télé ils sont placés à côté d’une actrice porno en décolleté ; ça compense. Le plus admirable c’est que les actrices du X se lancent dans la « littérature ». Ovidie versus Ovide !

Half : La télévision est l’ennemie de la littérature, et de l’art en général. Lorsqu’ils reçoivent un artiste (et quand je dis « artiste », je ne parle pas, bien entendu, des chanteurs de variété ni des humoristes franco-québécois), les animateurs font en sorte que les choses soient bien claires : en les invitant dans leurs émissions, c’est une faveur qu’ils leur font. Alors que, bien entendu, c’est l’inverse qui est vrai : lorsqu’un grand écrivain, un peintre de talent, un musicien de génie, acceptent l’invitation d’une émission de télé, c’est un immense honneur qu’ils font à leurs hôtes. Ils sont reçus comme les derniers des derniers, et c’est à des Céline Dion et des Johnny Halliday que sont réservés petits fours et tapis rouges…

Zukry : Le principe me semble encore plus vicieux. Est invité l’écrivain sympa, propre, dans le ton, éloquent façon Daniel Picouly… ou alors le tourmenté ; mais tourmenté sociable et télégénique quand même, pas trop blafard ou fatigué. Torturé V.R.P. Pas trop provoc non plus. Se branler dans les cheveux d’Ardisson, gerber sur Pivot… il risque gros ! Les animateurs, les malins, ont besoin de ces artistes qui font dérailler la machine : « Voyez comme on est libre dans cette émission ! ». Toute cette mascarade faussement subversive avec des clins d’œil en coin, car l’écrivain sulfureux ne doit pas être trop méchant. Il a raison ; il voudrait bien qu’on l’invite pour son prochain livre. Il joue son petit numéro et repart bras dessus-dessous avec son éditeur. Dans la semaine qui suit il passe de Gallimard à Gala, et les ventes explosent.

Half : Le syndrome Bukowski : l’écrivain alcoolo-clodo qui vient vendre son livre ivre mort chez Pivot. Tout le monde était content ce soir-là : le « vieux dégueulasse » avait joué son rôle à la perfection, et il a nourri vingt ans de bêtisiers, à côté de l’« au revoir » giscardien et du mariage Coluche-Le Luron.

Zukry : J’adore revoir les images de comiques morts, je me dis que ça pourrait encourager les autres à disparaître.

Half : S’il avait vraiment voulu être subversif, Bukowski serait venu sur le plateau d’Apostrophes parfaitement sobre, propre, et se serait exprimé avec élégance. Tout le monde aurait été dégoûté par ce type qui n’aurait plus du tout ressemblé à l’image qu’en donnaient ses livres, et les media auraient regardé à deux fois avant de le réinviter ! La télévision n’est pas faite pour les écrivains, et c’est une chance : franchement, quelle obscénité que d’accoupler Dantec à Laurent Gerra, Nabe à Ruquier et Laure Sainclair… Un écrivain n’est pas à sa place, coincé entre Patrick Bruel et Isabelle Alonso : sa place est devant son écran d’ordinateur ou sa rame de papier, et c’est de sa table de travail qu’il agit médiatiquement et politiquement.

Zukry : L’écrivain a autant sa place devant les caméras qu’un blond qui revendique son homosexualité sur France 2 et affirme être le sosie de Claude François tout en mangeant vingt kilos de corn flakes devant un public qui le hue sur France 3. L’écrivain recroquevillé dans ses moustaches et transpirant à grosses gouttes poétiques pour construire son œuvre est un cliché du passé. La littérature, qu’on le déplore ou non, est entré dans le champ des produits de consommation courante : j’ai même acheté le livre de Patrick Besson - Un état d’esprit - dans mon supermarché Champion. Sur le tapis roulant il côtoyait des produits frais, c’était très émouvant !

Half : Ce que je veux dire, c’est que l’écrivain est, plus qu’un acteur, qu’un humoriste ou qu’un chanteur, à l’abri de la « starification » : à part quelques exceptions comme Sollers, Christine Angot, Amélie Nothomb, Houellebecq ou Beigbeder — qui ont fait en sorte, pour la plupart (même si Sollers doit plutôt sa célébrité à l’ancienneté), de se vendre au même titre qu’un top model ou un boys band ; à part ces quelques exceptions donc, la littérature est moins facilement accessible que la télévision, le cinéma ou la variété. En gros : c’est un peu plus difficile de lire et d’assimiler Dostoïevski que de suivre une émission d’Arthur ou de Fogiel… Si Patrick Besson et Elie Seimoun se promènent dans la même rue de Paris, au même instant, ce n’est sûrement pas sur le premier que les groupies vont se jeter avec leurs crayons et leur carnet à spirales « spécial dédicaces » !
D’un autre côté, évidemment, puisque tout se vend, il n’est plus étonnant de voir dans un caddie Ainsi parlait Zarathoustra côtoyant des rouleaux de PQ triple épaisseur, 100 grammes de jambon sous cellophane, 6 paires de chaussettes fantaisie et le pack de Kro dominical !

Zukry : Il serait bon pour notre image de faire le procès de la société de consommation, de critiquer le matérialisme de notre société d’abondance, d’organiser après notre conversation une formidable manifestation citoyenne… L’éternel refrain des idéologues à la petite semelle. Tout cela manquerait de hauteur, n’est-ce pas ?
Revenons plutôt à la littérature que nous défendons ! Nous avons parlé des règles du « je », du stylo qui trace l’émotif et de bien d’autres choses, et les lecteurs voudront bien excuser cet enthousiasme qui nous fait vagabonder. Parmi les auteurs que nous avons cités depuis tout à l’heure on dénombre quelques mystiques charmants : Bloy le démolisseur, Nabe l’assoiffé, Céline l’imprécateur, De Roux le guérillero… D’après toi, à quoi peut bien ressembler l’Absolu ?

Half : D’accord, laissons le commerce aux éditeurs. Revenons aux génies et à l’Absolu. L’Absolu, entité protéiforme selon moi, chimère insaisissable qui se transforme au gré des époques, et que chaque auteur s’imagine différemment. Pour Léon Bloy, par exemple, il me semble évident que l’Absolu, c’est ce qu’il a attendu sa vie durant, ce « signe » de la présence divine, qu’il a cru percevoir à plusieurs reprises : lors de l’incendie du Bazar de la Charité, lors de l’éruption de la Montagne Pelée survenue pendant la communion de sa fille Véronique (« Il ne fallait pas une victime de moins à cette innocente et le volcan, depuis des siècles, attendait son signe »), et enfin en août 1914. À chaque catastrophe, le Belluaire croyait enfin son heure arrivée. À chaque drame, il sentait le doigt de Dieu, entendait le rire de la Vierge, et voyait s’abattre le Bras de son Fils. Pour Céline, l’Absolu, c’est la mort. « La grande Inspiratrice, c’est la Mort ! » Tu sais qu’après la trilogie allemande, il comptait écrire un livre qu’il aurait intitulé L’Ambassadrice, cette Ambassadrice étant, bien entendu, la mort. Mais il l’a vue arriver avant de pouvoir se mettre au travail : elle n’a pas voulu lui laisser le temps de l’inclure à son Guignol’s band, elle qui fait partie intégrante de son oeuvre…

Zukry : Je ne me lasserai jamais d’écouter la voix chancelante de Céline, bouillonnante de catastrophisme, pleine de mots apocalyptiques. Ses mots que je retrouve dans le roman de Michel Audiard La nuit, le jour et toutes les autres nuits, roman écrit en 1978, après la mort de son fils. Audiard, qui admirait Céline et dont on sent couler dans ces pages l’influence stylistique, attend la Mort et la bombe ; la « Super H », le « somptueux parasol thermonucléaire » qui fera de notre planète un vulgaire cendrier de poussières. Céline invoque la Mort et la souhaite la plus douce possible. Ceux qui rendaient visite au Céline de l’après-guerre semblent lire dans ses yeux un profond dégoût de la vie. Les hommes l’ont déçu, il attendait beaucoup trop d’eux : sa naïveté sourdait sous les vêtements élimés du misanthrope. Pour ma part, je me sens plus proche du précepte fondamental du nihilisme : « l’Absolu n’existe pas », le monde est vide de sens. Ne croire en Rien rend léger.

Half : À André Parinaud qui lui demandait s’il croyait encore en quelque chose, Céline avait répondu : « À ma haine et à ma mort qui n’est pas lointaine et au plaisir que ça fera à tous les coins de l’univers ».

Zukry : Dans une interviouwe en 1961 il a également répondu, à cette même question du journaliste : « Je crois aux contributions qu’il va falloir payer, puis je crois à la dette que j’ai partout et c’est tout ».

Half : Observe le regard de Céline, et compare le à celui de Bloy : la même profondeur, la même force. De tels regards devaient parfois être insoutenables aux visiteurs de Meudon et de Bourg-la-Reine : sujets au vertige s’abstenir ! Ces hommes-là ont vu ce que nul autre ne pouvait voir. Oui, je deviens vite grandiloquent quand je me mets à parler de ces choses-là. Bien que parfaitement mécréant, je m’intéresse beaucoup à la mystique des écrivains. Je crois que l’acte d’écrire est très mystique : il faut se sentir transcendé pour écrire… Sinon, on en reste au stade de la rhétorique, sans jamais effleurer l’émotion.

Zukry : Pierre Drieu la Rochelle - encore un écrivain effrayant pour les néo-sermonneurs en calotte ; ceux que l’on croise dans les associations anti-fascistes - écrivait une chose très juste sur Céline : « Céline s’est jeté à corps perdu dans le seul chemin qui s’offrait : cracher, seulement cracher, mais mettre au moins tout le Niagara dans cette salivation ». Voilà le mot d’ordre de tout vrai écrivain, son unique mystique : être excessif en tout, dans les silences comme dans le bruit, se brûler les doigts au contact de ses feuilles de papier. Etre orgueilleux sans jamais ne cesser de douter. En disant cela, je pense à Jean-Edern Hallier dont nous n’avons pas encore parlé. Ce type exaspérait tout le monde, y compris ses proches. Capricieux, prétentieux, fantasque, égoïste… lui seul savait que malgré l’apparente sinuosité de sa vie – jusque dans ses engagements politiques – il construisait une Œuvre cohérente qui le placera, dans quelques décennies, lorsque le Temps aura effacé les dernières traces de jalousie, parmi les plus grands écrivains français du 21ème siècle, assurément. Le talent ne s’ignore pas longtemps.

Half : L’idée même de s’avouer écrivain est excessive, pour ne pas dire inconcevable : comment un homme peut-il oser écrire ce qu’il pense, et consacrer sa vie à la recherche de la vérité, d’une vérité dont le lecteur deviendra le confident horrifié, qu’il le veuille ou non ? Pas étonnant que parmi nos écrivains de prédilection, certains se soient acoquinés avec le fascisme ! Il y a dans la littérature, et dans l’art en général, une certaine forme de dictature : le « client » n’a rien à dire, il est obligé de se prendre dans la gueule ce que lui donne l’artiste, même si c’est douloureux, même si c’est indigeste. Évidemment, maintenant que tout est préfabriqué, que tout est soumis à la loi de l’offre et de la demande, c’est beaucoup moins sensible… Mais il y a toujours des électrons libres, comme Jean-Edern Hallier, comme Nabe, comme Maurice G. Dantec, ou dans un genre différent comme Renaud Camus, qui refusent de faire où on leur dit de faire. Ce n’est pas étonnant qu’ils soient pris pour cible par tous les critiques, et qu’on cherche à toute force à les récupérer grâce au scandale, qui n’est qu’une autre forme de marketing.

sommaire