Au cours du siècle passé, trop peu de femmes se sont vues accorder le droit de rivaliser avec les hommes dans le domaine de l'expérimentation musicale. C'est d'autant plus regrettable, qu'il existe chez les personnes du sexe dit "faible" un véritable potentiel dès lors qu'elles s'intéressent activement à l'exploration sonore. Delia Derbyshire en est l'un des plus brillants exemples grâce à sa persévérance et le caractère visionnaire de son oeuvre, dont les sphères d'influences touchent plusieurs générations, d'Aphex Twin à Throbbing Gristle, et de façon générale, les compositions électroniques actuelles.

Née à Coventry en 1937, Delia est une enfant sérieuse qui très tôt se passionne pour les sons et les chiffres. Elle est en 1957 titulaire des diplômes de mathématiques et de musique de Cambridge. Aussi, prospecte-t-elle pour trouver un emploi dans lequel elle peut combiner ses deux passions. L'année 1960 voit la jeune anglaise essuyer un refus sans appel pour un poste chez Decca (l'illustre maison d'édition ne recrute pas de femmes dans son département de recherches) ; la British Broadcasting Corporation (BBC), qui détient depuis 1958 son " radiophonic workshop" (atelier d'expérimentation radiophonique), se pose alors comme le cadre idéal de mise à profit de ses connaissances. Après avoir bataillé avec la direction, Miss Derbyshire obtient le poste tant convoité, et intègre la BBC au sein du groupe de chercheurs, alors constitué de John Baker et David Cain. C'est l'amorce d'une carrière atypique pour Delia qui déploie rapidement l'éventail de ses talents, élaborant différentes techniques de traitement du son et contribuant par la suite au perfectionnement d'instruments électroniques (notamment avec Peter Zinovieff, père du mythique EMS VCS3, un synthétiseur analogique révolutionnaire pour l'époque). Elle compose en 1963 les musiques de l'émission Doctor Who, un projet radiophonique de science fiction, qui marque fortement la mémoire des britanniques. Les travaux de Delia sont reconnus et de nouvelles propositions d'illustrations musicales fusent de toutes parts. En 1966, elle fonde avec Brian Hodgson et Peter Zinovieff un collectif intitulé Unit Delta Plus ; ils tiennent ensemble à promouvoir la musique électronique à la radio, et à l'extérieur sous forme de performances. Le Million Volt Light & Sound Rave de la Chalk Farm Roundhouse en 1967 offre le premier concert de musique électronique en Angleterre, au cours duquel le Unit Delta Plus fait partager son intérêt pour la " tape music " (collage de bandes + effets électroniques) à un public médusé. Le concert s'étend sur deux soirées et donne également l'occasion de découvrir Paul Mc Cartney livrant un " mix " de 14 minutes de collages de bandes des sessions de Penny lane.

1968 marque pour Delia Derbyshire son entrée dans White Noise aux cotés de David Vorhaus. Cette collaboration repose sur la mise en forme d'un album baptisé An electric storm et sur une tentative de greffe de musique pop sur de la musique concrète (voir chronique ci-dessous). C'est une expérience subséquente à celle réalisée pour Standard, une maison de productions d'albums d'illustration pour l'industrie du cinéma et de la télévision. Delia compose ainsi plusieurs albums d'illustration pour Standard et plus tard pour KPM (albums qu'elle signe sous pseudonyme : Li De la Russe). Début 1969, la sortie de l'album de White Noise reçoit d'un accueil enthousiaste chez les disquaires. Les musiques de Derbyshire connaissent un intérêt croissant. Toujours très sollicitée, elle poursuit ses activités au studio pendant plusieurs années, enregistre des musiques pour de nombreuses émissions de radio, de télé et quelques films. En 1973, elle décide de quitter la BBC, après bons et loyaux services ; elle rejoint, un temps, son ami Brian Hodgson dans son studio.

Pour des raisons qui lui appartiennent, Delia choisit en 1975 de se retirer de la vie musicale. Elle séjourne une année en France, travaille dans une librairie, puis regagne l'Angleterre pour un poste dans un musée qu'elle ne quittera plus. En juillet 2001, Delia Derbyshire s'éteint à l'âge de 64 ans, laissant derrière elle des kilomètres de bandes sonores, en reliquat d'une vie en partie consacrée à la recherche et la vulgarisation d'une " autre " musique.

Je vous recommande de consulter le site officiel de Delia Derbyshire, un site en langue anglaise riche de moult informations précises avec historique, discographie, mp3, liens. www.deliaderbyshire.org.