GNACHIS ET PANZANI |
![]() " Ce coquillage qui m'offre un développement combiné des thèmes simples de l'hélice et de la spire " : un néophyte conchyliculteur comme moi aura toujours un penchant avéré pour les dictionnaires qu'on gagne à " Questions pour un champion ". J'ouvre donc avec cette citation de Paul Valéry qui, quand il allait travailler, ne disait pas : " Je vais travailler " mais : " Je vais me faire des surprises ". - Pourquoi ? Ai du trouver un vague rapport entre cette publication et un coquillage, me suis dit que certains spoutnikeurs trouveraient cela limpide. - J'ai assisté à la dernière soirée des Uburlesques 2001. Un show animé par un type nommé Jean-Louis 2000. Ai même été invité par un de ses gardes du corps (je m'en rappelle bien, il ressemblait à Jean-Pierre Castaldi) pour philosopher avec J - L. sur la base de la créativité (selon lui, le truc, c'est la disco transcendantale... ?). Bref, je vous passe les détails, ce spectacle était une vraie diarrhée. Petite consolation, en attendant sagement sur le tapis rouge l'attention du guru Ray-bané, j'ai eu l'agréable surprise de voir que la personne qui me suivait dans la file n'était autre que notre attachée à la culture. Si j'osais ? Si je lui parlais de BIGORNO ! Peut-être pensait-elle que notre torchon dandyste était un magazine d'information sur l'immigration des littorines et autres vignots sous la coque des bateaux-lavoirs (avec une préface de la Mère Denis). Après tout, Catherine est un beau coquillage, un merveilleux mollusque dont on peut encore goûter la comestibilité dans les h auts lieux culturels lavallois où l'expression gidienne " les nourritures maritimes " s'applique parfaitement à ce gastéropode qui s'adapte à tous les milieux. Gaston Bachelard n'a t'il pas déclaré dans son inoubliable " La poétique de l'espace " que « dès l'époque secondaire, les mollusques construisaient leurs coquilles en suivant les leçons de la géométrie transcendante » (allez, celle-là, elle est pour les " ouvre-boîteux "). Subissons, mes amis, pêchons et consommons le despotisme culturel lavallois. - De despotisme, il est question quand on relit l'ouvrage de référence des académiciens sur la civilisation américaine, " De la démocratie en Amérique " d'Alexis de Tocqueville. La question centrale tient lieu de prophétie dès 1835, en somme, comment concilier liberté et égalité ? Pour le normand, la liberté repose sur l'égalité des conditions. Son essai tente de nous montrer le rôle qu'a la liberté dans la société de masse moderne qui pointe son nez, et où la tendance à l'uniformité tend à établir la " tyrannie de la majorité ". Je n'ai malheureusement pas eu le courage de finir ce gros pavé (qui m'en a pourtant appris bien plus sur l'Amérique que moult d'ouvrages). Par contre, je suis tombé sur ce très beau texte intitulé " Quinze jours dans le désert américain ". Le penseur nous fait partager son étrange mélancolie au sein de ces natures sauvages et désertes que deviendront les futures cités commerciales et industrielles. Quelques passages sont absolument saisissants comme sa renco ntre avec un Indien à l'accent normand (" Il s'avança vers moi, me plaça deux doigts sur l'épaule et me dit avec un accent normand qui me fit tressaillir : " N'allez pas trop vitement, y en a des fois ici qui s'y noient ". Mon cheval m'aurait adressé la parole que je n'aurais pas, je crois, été plus surpris "). Le peuple indien, justement, Tocqueville sait déjà que leurs jours sont comptés. Il souligne ce mélange de naïveté et d'hypocrisie qui caractérise l'Européen du Nouveau Monde, pour qui toutes les valeurs morales et religieuses, si importantes soient-elles dans sa propre vie, ne s'appliquent guère lorsqu'il s'agit de l'Autre : pour l'Américain, " qu'est ce que la vie d'un Indien ? ". Tocqueville ajoute : " Satisfait de son raisonnement, l'Américain s'en va au temple où il entend un ministre de l'Evangile lui répéter que les hommes sont frères et que l'Etre éternel qui les a tous faites sur le même modèle, leur a donné à tous le droit de se secourir ". - Mais je n'ai point envie de glorifier l'ex-ministre des Affaires étrangères car un examen plus poussé de sa pensée fait pâlir de honte les historiens français. En effet, en lisant " Travail sur l'Algérie " (1841), on apprend beaucoup. Je cite : " J'ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n'approuve pas, trouver mauvais qu'on brûlât les moissons, qu'on vidât les silos et enfin qu'on s'emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre (...) je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l'époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu'on nomme razzias et qui ont pour objet de s'emparer des hommes ou des troupeaux ". L'intouchable Alexis était donc le défenseur de la " domination totale " en Algérie et du " ravage du pays ". C'est rigolo parce que quand Tocqueville critique le colonialisme, il attaque les abus commis dans des lieux et par des puissances qui ne le touchent pas beaucoup, et soit excuse les injustices dans les territoires français qui lui sont chers, soit, en s'abstenant de généraliser l'accusation à toute répression ou hégémonie impériale, ne dit rien. Comme disait ma mère, il s'agit de balayer devant sa porte. |
FRED B. LHAMAS |
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