4h du matin, je rentre chez moi ! Dans les oreilles : une ambiance industrielle oppressante, une caisse claire métallique. Cette nuit-ci était une nuit bien spéciale pour nous musulmans, nous la nommons "La Nuit du Destin". Ce moment coïncide avec la première révélation divine au prophète Mohammed. A ce propos, Abou Houssaira rapporte ces propos de l'Envoyé de Dieu (sur lui la Grâce et la Paix) : "Qui passe la nuit du destin en veille et prière avec foi profonde en Allah et ferme conviction de la récompense, ses fautes passées lui sont pardonnées". Donc, après quelques heures de veille, sur le chemin du retour, je repense à une conversation avec un autre rédacteur bigornien dans un bar censé rappeler les riches veillées irlandaises. Après un avant-propos funky où mon interlocuteur essayait de me convaincre de la pureté de Sinclair, je restais sur mes positions en concluant que ce "Vivelle en spray" n'avait probablement jamais écouté "Handclapping song" des Meters. Par la suite, la bonne attitude fut de se tourner vers l'origine de nos questionnements mystiques. Pour ma part, ce fut vers 16, 17 ans où j'ai des quelques souvenirs bien précis. Premièrement, j'étais toujours allongé sur mon lit, le regard absorbé dans le plafond bleu-azur de ma chambre. Putain! Pourquoi ce mec à moustache a repeint le plafond de mon caisson en bleu. Ma mère aurait du savoir que le bleu est une couleur essentiellement féminine (Junon et la Vierge Marie). L'air (bleu) comme l'eau (verte) comme la terre (noire) sont des éléments passifs, ils ont pour symbole la ligne horizontale, position de l'homme couché, qui exprime la passivité. Cette couleur bleu agissait sur mon psychisme à une époque où je ne cherchais que douceur, tendresse et mélancolie (ce qui n'a rien à voir avec la passivité). Je repense à une émission que j'ai vu dernièrement, sur l'influence des couleurs. On y voyait des médecins psychiatres qui ont ouvert des maisons de santé où ils soignent les excités dans des chambres tapissées de bleu et de violet alor s qu'au contraire ils logent les déprimés dans des pièces tendues de rouge. De même, on a pu rapporter que dans une usine de Manchester, en 1945, où les murs étaient peints en blanc brillant, une grande nervosité allant jusqu'à l'abandon fréquent des machines régnait parmi les ouvriers. Les murs ayant été repeints en gris-bleûatre mat, ces incidents cessèrent comme par enchantement. Une amie étudiante en psychologie me dit que la psychanalyse associe le bleu à un "détachement de l'âme", à "un mode de vie doux, léger et supérieur". Bref, j'étais sur ma couchette et je sanglotais. La raison : je n'arrivais pas à me représenter le néant. Non !!! Je ne concevais pas ma mort, voilà, c'est ça. Mon corps inerte sous terre, allais-je avoir conscience de la perte physique de ce corps ? Cette idée à laquelle j'essayais de me raccrocher m'était inconcevable. Je crois que tout simplement j'avais peur de ne plus penser ; donc de ne plus exister. Je ne sais plus qui a dit que l'homme est le seul mammifère à savoir q u'il en est un, mais pour moi l'existence se limitait au "je pense donc je suis". Par la question : aurais-je conscience de ma mort ? Je m'en posais une autre, très scolaire, mais élémentaire : d'où viens-je ? Je fermais les yeux, essayant de me recréer le cosmos. Je ne voyais que des spirales de couleurs circulant dans la nuit absolue, le silence absolu. Ca ressemblait aux toiles de Pollock, comme elles, indéfinies. Comme lui, je cherche les rythmes de la nature (" Peindre, c'est partir à la découverte de soi ").
Je rouvrais les yeux et je voyais ce bleu, ce ciel, ce vide, ce chaos, cette indétermination, cette imprécision, cette inconscience. Je suis le capitaine d'un U-Boat qui s'enfonce dans l'abîme et mon cuisinier de bord est cette petite flaque de Luc Besson ("Eh ! les gars, à table! Aujourd'hui : les oreilles du dauphin"). Voir. Je crois que ma croyance en Dieu me renvoie à cet état : voir où ne pas voir. Cicéron et Socrate citent d'ailleurs l'organe de la vue comme preuve de la divinité.
L’œil est en effet un amas de merveilles finalistes. Est-il possible de nier que l’œil soit affecté à la vision ? Ce serait, à mon sens, tomber dans un excès fantastique d'absurdité que de supposer qu'il n'y a pas un rapport de cause à effet entre l’œil et la vision. Ce n'est pas par hasard que l'homme voit; il y a tout un agencement de parties, tout un mécanisme merveilleux dans l'ensemble et les détails les plus minuscules, qui nous permet de dire avec certitude : l’œil est fait pour voir. Que serait l'humanité si tous les hommes étaient aveugles? Ils n'auraient pu voir l'habit bleu de Jésus venant annoncer la Bonne Nouvelle. Une autre amie en "psycho" me dit : " le bleu, symbole de la vérité et du caractère éternel de Dieu, sera toujours le symbole de l'immortalité humaine ". Finalement, qui est la cause ? Qui est la conséquence ? Je relis "L'être et l'Essence" de Kant : "Comment quelque chose découle de quelque chose d'autre, et point en vertu de la règle de l'identité, c'est ce que j'aimerais bi en qu'on m'éclaircît. Je nomme fondement logique le premier genre de fondement, parce que son rapport à la conséquence peut être considéré comme logique, c'est-à-dire comme évident selon la règle de l'identité, mais le deuxième genre de fondement, je le nomme fondement réel parce que, bien que ce rapport appartienne à mes concepts vrais, sa nature même ne se laisse réduire à aucune sorte de jugement". 4h30, je suis chez moi. Je me passe "Laughing stock" de Talk Talk, la musique de l'âme la plus noire et envoûtante de l'époque.
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