CASSAVETES ET LE CINEMA DES EMOTIONS

Dans le paysage cinématographique américain, on se souvient d’un certain John CASSAVETES dont les films d’une grande intensité émotionnelle ont ouvert une brèche pour toute une génération de cinéastes. Fils d’immigrés grecs, il grandit à New York où il fréquente l’Académie d’art dramatique avant de devenir acteur de théâtre et comédien pour des séries télévisées. Bien qu’Hollywood s’intéresse à lui, il ne se satisfait pas de sa réussite professionnelle, son envie réelle étant de réaliser des films indépendants où l’authenticité serait le maître mot. Il parvient à réaliser son entreprise à l’aide de maigres moyens financiers obtenus par ses relations.

Souvent, bon nombre de réalisateurs savent précisément à quoi vont ressembler leurs films, CASSAVETES, lui, explorait la voie de la semi-improvisation afin de privilégier ce qui lui semblait essentiel : l’émotion de l’instant. Au lieu de faire appel à des acteurs professionnels, il préférait s’entourer de ses amis Seymour CASSEL, Ben GAZARRA, Peter FALK, sa femme Gena ROWLANDS, et plus est de membres de sa famille (sa mère Katherine ), créant une ambiance familiale expliquant l’atmosphère si particulière de ses œuvres. Il avait un grand amour pour ses comédiens et ne voulait pas violer leurs sentiments en leur imposant un jeu bien spécifique. Bien que les scenarii et les textes étaient détaillés à l’avance, ceux-ci changeaient au fur et à mesure du comportement des acteurs permettant ainsi de débloquer la spontanéité indispensable au réalisme qu’il recherchait : « Je pense que si j’ai un don comme metteur en scène, c’est celui de créer une atmosphère où les gens peuvent se comporter naturellement dan s une situation donnée. Je n’essaie pas de contrôler le plateau, qui est souvent anarchique, les acteurs se liguant souvent contre moi… ». CASSAVETES n’avait pas le souci du plan bien cadré et des travellings bien huilés ; la caméra étant dépendante du mouvement des protagonistes, s’attardant sur ce qu’ils avaient à exprimer, mais aussi sur leur indifférence ou ce qui transparaissait de leurs sentiments cachés. Les scènes se déroulaient souvent en huis clos, les décors étant quasiment inexistants, renforçant ainsi la présence des personnages et leurs relations à fleur de peau. Dans la plupart de ses réalisations, l’image est sale et le son pas forcément très net. Plutôt que remédier à ces faux problèmes, les imperfections et les maladresses étaient laissées telles quelles car il lui semblait qu’elles reflétaient le monde flou et chaotique des personnages.

Les thèmes chers à CASSAVETES tournent autour de la difficulté d’être, montrent les mécanismes qui régissent les relations humaines.

Parmi les films que j’ai pu visionner, ceux qui m’ont le plus marqué sont « faces » et « meurtre d’un bookmaker chinois ». Le film « faces » sorti en 1968 explore les mœurs des couples américains. On y découvre des personnes prisonnières de leur mariage, ayant peur de se libérer de leurs schémas de vie et multipliant les infidélités pour se donner un semblant de liberté. Le climat qui y règne est dominé par l’hypocrisie, les faux-semblants. Un défilé de visages où pèsent le poids des non dits et qui finissent inévitablement par s’affronter violemment sans trouver pour autant une issue favorable. Dans « meurtre d’un bookmaker chinois » (1976), Cosmo VITELLI (Ben GAZARA) est le propriétaire d’un night club minable. Pour payer une dette de jeu de 25000 dollars, des mafiosi lui ordonnent de tuer le bookmaker chinois. Livré à lui-même, sans personne à qui communiquer ses sentiments ; il exécute le meurtre où il est blessé par balle. Il se retrouve par la suite confronté aux gangsters qui veulent l’élimine r. Victorieusement, il parvient à tuer le chef de la bande. C’est seulement dans les dernières scènes qu’il retrouve sa boite de nuit et se met pour la première fois à parler, à exister. Il est pourtant en train de mourir de sa blessure.

Voir un film de CASSAVETES est une expérience magique. On se retrouve face à des hommes que l’on inviterait vivement chez soi; avec ce sentiment étrange de faire partie du film, car ce cinéma nous renvoie à nous même ; à nos propres difficultés et c’est cela qui fait sa force.

HERVE
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