LE 5ème ARABE

Le moment venu, le petit homme chétif ressort et marche d’un pas pressé vers l’arrêt d’autobus. Il n’est pas trop surpris de constater que le bus en question ne viendra que dans vingt minutes. Peu importe, il n’en faut pas plus pour fumer une light.
Dix allumettes plus tard, il peut enfin savourer la satisfaction de sa première bouffée. Ces cigarettes ne sont pas les plus chères, mais certainement les meilleures et surtout les plus tendances. C’est important.

Le chien qui passe de l’autre côté est tout seul. Encore un chien abandonné se dit-il. Il n’est pas très beau… Il regarde sa montre et le bus arrive, comme tous les lundi après-midi, avec ses renvois de colza puants et son petit retard qui lui va si bien. La bande d’arriérés mentaux qui se pressent aux portes n’étonne plus notre homme depuis longtemps. Il s’est habitué à attendre sagement derrière le troupeau, quitte à voyager debout.
Il finit tout de même par monter, dit bonjour au chauffeur qui ne lui répond pas plus que d’habitude. Ceci vient certainement d’une frustration chronique, voire d’un état post-suicidaire de multiples tentatives, venant de la part d’un homme dont l’horizon se borne à un volant et deux cadrans ronds et cons.

Le démarrage n’est pas plus violent que les fois précédentes, ce qui permet à notre héros, après s’être relevé, de s’adonner à son occupation favorite : compter goulûment les arabes présents dans le bus, pour voir…

Et puis le miracle, au 5ème arabe recensé, juste derrière, une banquette libre ! L’homme chétif y prend place, un sourire aux lèvres. Au prochain arrêt, si personne ne vient l’importuner, il pourra dormir durant tout le trajet et faire abstraction des quelques débiles qui commencent déjà à se battre au fond du car.

Place de la mairie. Prochain arrêt.
L’homme ressent une impression bizarre. Pourtant ce soir il y a un bon truc à la télé. Le même style de personnages monte en braillant dans tous les sens et dans tous les termes, ignorant superbement notre personnage, pour sa plus grande satisfaction. Sans compter avec l’imprévu, sorte d’évènement qui se balade au fil du destin d’un côté puis de l’autre, touchant l’ autochtone plus ou moins par hasard, jamais notre audacieux et tant mieux. Sauf que la jeune femme aux yeux verts qu’il regarde si souvent, lui demande si elle peut prendre place à coté de lui. L’homme vire d’une pâleur morbide à un rouge provincial assez réussi, en passant par le bleu et le violacé. Il essaie de lui répondre par l’affirmative, n’arrive pas à sortir un mot, avale sa salive, coince sa valise dans le repose-bras, mort de trac et à demi paniqué pour ne pas dire complètement.Peut-être ce soir n’est t-il pas comme les autres ? Peut-être que la chance lui envoie une rose, qui pourtant devr ait être fanée depuis le temps.

Bref, la jeune femme est à coté de lui en simulant l’innocence la plus innocente. Notre homme à un marteau piqueur à la place du cœur, ce qui en dehors de la rime lui donne l’impression certaine d’être au bord de l’abîme. Ce soir il tente sa chance. Il tente sa chance ! Il n’a pas le choix. Que pourrait il lui dire ? Il ne trouve pas. Son cerveau ne lui renvoie que des signaux opaques de brouillard teintés d’analyses incomplètes.

Allez on fait rentrer en scène le courage de froussard, un peu plus à droite s’il te plait sinon on ne te voie pas assez avec les lumières du dehors, la sueur malodorante à gauche qu’on te sente bien et manœuvre du bras vers l’une des deux charmantes cuisses de la demoiselle.

Elle aura tout, il saura la rendre heureuse, elle sera aimée comme personne ne l’a jamais aimé, un peu comme dans la chanson. Sa main se pose, avec la douceur d’une pince à faire des tas de trous dans le sol.
La femme la retire vivement, se lève d’un bloc et le traite de pauvre cinglé. L’homme chétif tremble de partout, incapable de gérer la moindre situation et lui suggère de se tirer d’ici pauvre conne en lui reprochant de l’avoir allumé, salope.

Le 5ème arabe, celui du devant passe alors prestement derrière, et annonce au petit homme qu’il va le soigner, rassure toi. Le petit homme lui répond dans un souffle que ce n’est pas la peine, merci, et se réveille un peu plus tard à l’hôpital rempli de jolies infirmières. Mais tout ceci n’est pas bien grave.

Cwick

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