LE REQUIEM ÆTERNAM DE DJ ZUKRY |
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Michel Chion lisse ses cheveux ébouriffants. Ses lunettes rondes lui font les gros yeux : c’est qu’elles sont rancunières. Il se regarde dans le miroir brisé de sa mémoire : 7 ans de malheur. On n’arrête pas le regret. Ses cheveux noirs au poivre tournent en boucle sur une bande magnétique, comme dans un rêve inachevable. A l’endroit, à l’envers, au ralenti, en accéléré ; Michel Chion suspend l’Éternité, l’enferme dans une chambre d’écho ; cette chambre noire dans laquelle il développe ses photos pour tympans. Michel Chion : l’acoulogue curieux qui traite les sons de tous les noms et leur jette à la gueule des microphones pour les écouter parler dans son dos quand il n’est pas là. Le bruit, ce sacré vicelard, se précipite tête baissée dans le gouffre du silence. A l’aide ! Prisonnier du son. Personne n’aidera jamais ceux qui vivent avec des hauts parleurs dans le cerveau. Le babil accidenté et angélique d’un enfant enveloppe l’orgue décharné de Chion. Chut ! Il lit un passage de l’Évangile, il écorche vif les mots : « Mes frères, écoutez le myf le myftère que je vous dévoile. Au fon de la dernière trompette, car la trompette fonnera, les morts apparaîtront vivants dans un état incorruptible, et alors nous ferons changés (…) ». Tout va se briser, rien ne tourne vraiment rond : hésitation entre la vie, la mort et la foi. Rupture. Accoutumance au silence, au ronron bienfaisant du bruit blanc, au calme, à la plénitude du vide. Rupture encore. Cauchemar. L’auditeur glisse sur une note invisible et se vautre lamentablement dans les escaliers du songe. Il est terrifié, il a peur, il tremble, il est seul face à son malaise. Les basses vrombissent, les aigus déchirent les limbes de l’audible, les médiums ne voient rien venir. Nuit noire. Sur l’écran fantôme : du cinéma pour l’oreille. Un vieux film, pellicule rongée par l’usure des mythes, images couleur sépia, diva allongée sur un divan moelleux, tableau de maître et au loin, le grésillement hypnotique d’un 78 tours : une valse à trois contre-temps. « La mél odie impure abreuve le microsillon ». Mélodrame acousmatique. Musique concrète. Les personnages gravent leur peau sur le support : sortez les bobines, on enregistre ! Du calme dans la haute-cour ! Les machines flippent : Michel Chion sait y faire avec l’électronique. A la bouillie sonore il préfère l’élégance du Verbe : poète de l’impédance. Michel Chion grille les circuits électriques, prend les chemins de travers, embrouille les fréquences et finit par franchir le mur du son. Explosion. REWINDEn 1970, dans un studio, au Service de la recherche de l’ORTF, Michel Chion rencontre un savant pas fou : Pierre Schaeffer. Il a des cheveux blancs, une paire de ciseau dans la main gauche, des bouts de scotch sur le pull, de l’autre main il invite M. Chion à entrer dans son gourbi. « Attention, ne vous asseyez pas sur cette chaise, il n’y a que Pierre Henry qui sache bien la faire grincer ! ». Ils se marrent. P. Schaeffer lui montre la machine à passer le temps. 30 secondes plus tard les présentations sont déjà faites, les octaves de la complicité sont jouées pianissimo. Ils s’enflamment sur Flaubert ; en 1984 M. Chion composera La tentation de Saint-Antoine. REPLAYMichel Chion lisse ses cheveux ébouriffants. Ses lunettes lui font les gros yeux : c’est qu’elles sont rancunières. Il se regarde dans le miroir brisé de sa mémoire : 7 ans de malheur. Il se souvient de Tati, de Chaplin, de Chopin, de Debussy, de son enfance, de son premier microphone, de ses balades ; les oreilles aux aguets : le promeneur écoutant. Tout est Son. Tout est dans l’Art de fixer les sons, de les mettre en boîte, de les serrer les uns auprès des autres, de les laisser s’étirer ou s’éteindre. Il n’existe pas de clé de Sol pour ouvrir la porte du Son absolu, le Son parfait, l’ultime illumination du Son. M. Chion est un éclaireur, il nous indique la route. Là, sur la voie gauche, un larsen joue au malin. Il ne faut surtout pas le faire taire. On tourne autour de lui, il va finir par nous quitter. J’ouvre la fenêtre du salon. Les freins de voiture crissent, les pigeons roucoulent en sourdine, le silence total s’évapore, des parents poussent leur enfant sur son vélo, les feuilles frémissent au passage d’un coup de vent, et puis le brouhaha des moteurs, toujours les moteurs, les moteurs, broum, broum, broum. Je ferme la fenêtre. Semblant de silence. Le silence : démon et merveille. STOP |
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Discographie sélective de Michel Chion : Requiem (1973) – INA/GRM Le prisonnier du son (1972-91) – IMED Gloria (1994) - METAMKINE Credo Mambo (1992) – METAMKINE (...) |
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