Je dois vous confesser quelque chose : je n'aime pas le cinéma anglais. En effet, je trouve la production de nos amis roast-beef extrêmement chiante, pénible, et aussi démagogique et complaisante que la bouillie de ce gros lard de Michael Moore. Mais ce n'est rien à côté de ce que j'ai vu dernièrement : " Naked " de Mike Leigh. Déjà, " Naked " me paraît typiquement anglais ou plus largement " britannique " pour une première raison : le personnage principal, Johnny, parle, parle, et reparle dans une langue de scénario bien ciselée et rien n'en réchappe : bien sûr la société est nulle, bien sûr le conformisme est partout, bien sûr le Christ est génial et incompris. Tous en redemandent : plus on leur crache dessus, mieux ils comprennent leur petitesse, et si vous n'êtes pas prophète ou camé, c'est que vous n'avez rien compris à cette philosophie de la vie amenée avec une assurance cynique de tous les instants.
Deuxième hic : le scénario s'appuie sur les dialogues au détriment de toute dramaturgie. Voilà le problème : les personnages annexes ne semblent avoir une vie relative que quand Johnny les insulte. A ce propos, j'ai rarement vu un cinéaste mépriser autant ses personnages " secondaires " et mener avec autant de constance la chasse à la moindre parcelle d'humanité apparue çà et là : une manière d'être et de filmer dont l'éthique transparaît dans les rapports amoureux. En effet, ceux-ci, sans exception, ne peuvent relever que d'un sado-masochisme de bazar. Passé la lourdeur des dialogues, je pense à l'image de marque du cinéma britannique : la " tradition " du réalisme ou de la critique sociale. Bon, je sais, après la crise et la montée du chômage, après la rébellion post-punk, la protestation sociale a reprit de l'ampleur en Grande-Bretagne. Les Ken Loach ou Stephen Frears (je sauve néanmoins " My Beautiful Laundrette " - histoire d'amour inter-raciale et homosexuelle d'un Pakistanais arriviste et d'un Anglais un peu paumé et plutôt facho - pour sa terrifiante leçon d'optimisme) surgissent sur les ruines sociales de l'après-thatchérisme. Mais franchement, tout cela ne me touche guère. Ou alors si, les prémices, le " Free Cinema " anglais des années soixante. Comme par exemple le magnifique " Bleak Moments " du même Mike Leigh, film anti-dramatique et anti-spectaculaire sur le vide des moments quotidiens vécus par des êtres qui ne trouvent ni les gestes ni les mots.
Troisième hic : le pauvre Mike Leigh ne maîtrise pas son sujet (un clochard " céleste " déblatère contre la société commerciale et industrielle). Désolé, mais j'ai du mal à accepter un film moralisant qui repose sur les épaules d'un individu antipathique semblant carburer au mépris dispensé à des personnages secondaires, auxquels le cinéaste ne donne aucune chance (ou presque) d'exister. Ils sont soit sadiques, soit fous, soit débiles. Vision noire de l'humanité, Mister Leigh, ou constat d'échec de notre société : d'accord, mais cela devrait être une conclusion du spectateur, pas une affirmation péremptoire assénée par une créature très théorique. Bref, tout cela est facile et scolaire. Je vois d'ailleurs bien le film être sur la table de chevet des " artistes " (maudits de préférence). Tous les ingrédients les mettront en appétit : une sorte de vagabond, mi-Christ mi-prophète, erre dans Londres en professant ses quatre vérités. A cela, ajoutons aussi des prétentions pseudo-idéologiques, bref un auteurisme mal-venu. Et justement, le cinéma n'a pas besoin de prétentions, c'est un art d'humilité face au monde et Mike Leigh apparaît ici d'une prétention empathique, prétention que son acteur principal (sorte de Dutronc anglais) incarne d'un bout à l'autre avec cet ennuyeux et désastreux jeu de théâtre anglais. Il faudrait que quelqu'un lui explique que le théâtre est une représentation tandis que le cinéma est un art d'accommoder l'artifice d'une manière artificielle. Le cinéma rend à l'homme sa valeur, mais par l'artifice, en le collant dans une situation complètement arrangée. Le problème c'est que certains prennent n'importe quelle histoire, n'importe quel acteur et les font marcher. C'est en somme, de la mise en scène, et c'est ce qu'il faut éviter. Il ne faut pas être metteur en scène, c'est à dire qu'il ne faut pas être ingénieur. Il faut être poète… tout simplement. Comme disait Bresson :
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