UNE FORÊT EN DÉCEMBRE

Des flocons virevoltent dans un faisceau de lumière blanche, dansent au son d'une boîte à musique. Une femme en blanc derrière un curieux cube translucide, actionne une manivelle à mélodie. Rideau de perles ou gouttes de pluie ? Flocons de neige ou ruisseau scintillant d'étoiles ? Un elfe qui appelle les esprits de la forêt, un bonhomme de neige qui frissonne, un enfant qui s'amuse très sérieusement, une môme centenaire. Björk.


Avançons-nous de quelques minutes dans la forêt, de quelques mètres dans la soirée. Faisons quelques pas dans la neige, du crépuscule au crépuscule. Les doigts de Zeena égratignent sa harpe et Björk debout la fixe attentivement. Khôl sur les yeux. Cheveux dénoués. Robe blanche en papier, bras le long du corps, l'épaule droite est nue, l'avant-bras gauche aussi. Au bout de la main droite, le micro. Une respiration. Le micro s'approche de la bouche. "I am strong in his hands... I am beyond me... On my own I am human... And I do faults..." La main gauche le long du corps écarte ses doigts comme celle qu'un enfant mal élevé aurait plongée dans le pot de confiture. "I turn myself in... I give myself up... I volunteer... You own me : I'm yours." Un généreux coup de palme. Les mains de Zeena s'envolent sur ses cordes.

L'averse. "Emb-ra-a-a-ace... Embrace me-e-e-e... eeeeeemmm..." La harpe meurt. Silence. La salle respire. Trois pas en arrière, Björk rejoint Zeena. Le calme est revenu, frôlements de cordes... Main sur la hanche, sourcils froncés et sourire aux lèvres, une gamine qui gronde son petit frère : "She's STRRRONG ! in his han-ands... She's strong in-his-hands... She's strong, in his han-ands... She-is-strong-in-his-hands !" La gamine tape du pied par terre, joyeuse et nerveuse. Retour à l'immobilité. La harpe termine en points de suspension. Le sourire de Björk lui bride les yeux. Geste de victoire, poing dressé, visage crispé, à l'intention de Zeena : "On les a eus !"

Nous nous enfonçons plus loin encore dans la forêt. Le temps a passé, il n'est plus à la neige. La petite fille revient par la gauche dans une robe rouge à la corolle de plumes, bras et pieds nus, tatouage à découvert sur le bras gauche. Elle s'approche de la gigantesque boîte à musique en Plexiglas, la met en marche d'un coup de manivelle. Elle s'approche du micro : "Pedalling through... the dark current..." Beauté et tension. Fragilité de l'harmonie. Pieds nus martelant le sol sous les plumes rouges. Mariage de la voix rauque de Björk et de la douceur du chœur :

On the surface simplicity
But the da-arkest pit in me
I-is pa-agan poetryyy...
I-is pagan po-et-ry
(Swirling... black lil-lies to...)
(... ta-ally riiipe...)
(Swirling... black lil-lies to...)
(... ta-ally riiipe...)

Björk, micro contre les lèvres, yeux clos, articule avec application sa déclaration d'amour, reprise par le chœur : "I lofff him, I lofff him, I lofff him, I lo-offf him..." Zeena torture ses cordes, le duo Matmos fait dans le presqu'inaudible, le souterrain. L'orchestre s'est fait oublier. Ils se préparent tous à éclater sur Isobel. Là tout s'envole, joyeux, les douze choristes dansent, Björk parcourt la scène en sautillant, dans un cœur plein de poussière vit une créature appelée Luxure. Le chef d'orchestre décrit des cercles légers avec sa baguette. "Nah, nah, naaah, nah, naaaaaah..."

Du temps a passé. Björk nous fait quitter ses paysages émotionnels. La présentation de ses musiciens est encore un poème bruitiste : "Sank you verrry much, sank you... (D'un geste des bras elle écarte ses cheveux qui partent s'écrouler sur son dos. Exultation de la foule. Elle agite les bras, aux anges, et fait tinter les grelots de sa robe. Reprise du micro.) I would like to intrrroduce ze people who arrre playin' wiz me. Okay ? (Gling, gling.) MATMOS ! (Applaudissements, cris de joie. Gling, gling, gling.) ZEENA PARKINS ! (Applaudissements. Gling.) A choir frrrom GRRREENLAND ! (Brouhaha, hurlements. Gling, gling, glling.) SIMON LEE... (App...) and the NOVECENTO OLCHESTRRRA ! (...laudissements.)

Nous arrivons à l'orée de la forêt. Le soleil brille : la journée sera belle.


HALF

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