DE CE MAL-ETRE EN VOTRE COMPAGNIE...
(Par Amphi)
" La rivière est basse ce matin "
me suis-je dit en passant au-dessus du fleuve. J'aime l'admirer appuyé à la rambarde ; " Belle journée pour s'y pendre. " Les désespérés aiment à sombrer enlacés. J'aperçois au loin les gyrophares des éboueurs. Il faut se hâter, je ne dois pas être en retard. Le PMU vient d'ouvrir ses portes, le patron voit déjà arriver ses premiers clients. Je n'aime pas fréquenter les troquets dès l'ouverture. En général, les clients s'y bousculent, clamant haut et fort : "Un café, vite. " L'atmosphère qui y règne est composé d'un mélange douteux de parfums. Un nez serait à sa place ici. Le mien est tout triste. J'ai bien fait après tout de refuser ce job. Aujourd'hui, je suis un winner. Tout comme un jeune cadre dynamique, je commence toujours par une phase d'auto motivation. Ca m'aide pour la journée à venir. J'avale mon croissant, mon jus d'orange ; des vitamines, c'est bon pour ce que j'ai. Je file. J'aimerais arriver parmi les premiers. C'est souvent là que tout se joue. Les annonces sont affichées et chacune sera analysée au mieux. En un instant, la vie de chacun peut basculer. Je me dis que le pont n'est toujours pas très loin. Mais la sécheresse qui règne en ce moment me ramène dans la bonne direction. Vers le chemin de la reconnaissance. Je marche d'un bon pas. Je ne peux m'empêcher de doubler les clampins. En voiture, c'est pareil. Je remarque un groupe de touristes attardés au milieu du trottoir. Encombrement. Je connais bien la ruelle sur la droite, ces vieilles rues qui débouchent toujours sur un coin étonnant. Je devrais apercevoir le marché. Tous ces étals et moi dans tous mes états. Je décide de m'arrêter un instant. Au début je me laisse séduire par le tableau de couleurs puis le ballet de cabas vient animer ce spectacle. Sans discontinuer, les formes s'agitent frénétiquement. Le clocher m'exhorte de cette fascination. Une demi-heure sonne. Laquelle ? Je prends mon portable. Mince ! Nous avions convenu de nous entretenir dans le cadre du PARE. Je m'insurge : " Quittons cette place, elle me retarde. " A cette heure-ci, la fréquentation urbaine est encore assez faible. Les noctambules se reposent et la vie démarre. Une voiture s'arrête à côté de moi. Forcément, encore un égaré. Un Anglais. J'ai pas envie de chercher. Le mieux, c'est qu'il demande à un autre anglais. Je mime de ne rien comprendre et l'autre se marre en français. Des étudiants. J'ai bien fait de ne pas m'y risquer. L'année promet d'être palpitante. Les locations de studio s'arrachent comme mes cheveux. Le commerce est florissant. Peut-être est-ce une solution. Les agences se sont multipliées dans le quartier. Je réunis mes atouts et abat mes cartes. Stratégie éprouvée. Je pousse la porte énergiquement et j'entrevois la spirale ascendante du succès commercial, une vie haletante et trépidante. Je rattrape la poignée de la porte avant qu'elle ne se referme. Je respire à pleins poumons et reprends mon chemin. Très gentil ces gens. Je me sens productif aujourd'hui. Autour de moi, le rythme s'accélère progressivement. Bientôt la foule va envahir les rues. Il faut se mettre à l'abri. Je connais justement un café avec une belle terrasse où l'on peut se remettre à respirer. Je vous emmènerai un jour. Je m'assoie et commande, non l'inverse, le service est rapide ici. J'ai pris un Ace, le cocktail vitaminé de Pago. Je suis seul en terrasse. Je me délecte de ces instants car je sais que cela ne va pas durer. " Pardon ! Non, non, vous pouvez prendre cette chaise. " Il est vrai que j'occupe une très belle place sur cette terrasse mais de là à s'agglutiner tous dans le coin. Il faut que je parte sans plus tarder. Je ne manque pas d'emboîter le pas de ce type comme pour imprimer un mouvement de rotation des places, pourtant certain de les revoir ici jusqu'au soir. Je ne les salue pas. Eux non plus. C'est mieux ainsi. Je vais longer les quais. Cette balade est très appréciée des passants. Ce coin de verdure me fera le plus grand bien. C'est vert, je traverse. Je prends toujours soin de respecter les feux piétons. Je suis moi-même très irascible au volant face à ce genre de comportement. J'y suis. Les joggeurs vont se doucher. Ce chassé-croisé me réconforte. J'aime beaucoup l'île en face de la bibliothèque, j'y retrouve l'aspect tropical et désertique qui hante mon esprit. J'ai repéré une solide branche sur un hêtre abjecte. Il devrait convenir pour se balancer en face. Le vis-à-vis, c'est important. Si le niveau de l'eau continue à chuter, je ne sais pas si je pourrais poursuivre : capter le flot de l'eau, se laisser porter par les sirènes, jouer les funambules sur la corde raide. Je me lance.
precedent sommaire suivant