PERCEUSE POUR ENFANTS

(DJ ZUKRY)

Viens, petit, écouter ma perceuse pour enfants.
Dors, je te chuchote une complainte à la scie sauteuse.

Je plante des clous rouillés sur tes mains. Je bricole une mélodie à coups de marteaux, un air qui te rentre dans le crâne et que tu ne pourras jamais plus oublier. Voilà ma technique : je te pilonne à mots couverts de sang. Et puis un jour tu ne m'entendras plus ; réduit en poussière je retournerai au néant : j'en viens, et c'est là où je me sens le moins mal. Ecoute ma perceuse pour enfants. Dans mes contes, les fées ne peuvent plus se pencher sur les berceaux ; paralysées au sol elles gémissent de douleur ; de cette douleur d'où j'ai pointé le bout de mon nez, au commencement, à mon origine, gros bébé prisonnier des poils pubiens de ma mère. J'enfante ces phrases pour toi, mon petit ange, mon fils sur mon champ de batailles.

Viens, petit, écouter ma perceuse pour enfants.
Dors, je te chuchote une complainte à la scie sauteuse.

Regarde ta maman, qui crie toute la journée, son moignon trempé dans l'huile bouillante, des lambeaux de peau dans la friture du soir. Pourquoi pleures-tu ? Allons, sèche tes larmes, approche-toi de cette bougie, serre-moi fort dans tes bras, laisse vaciller la flamme de nos deux cœurs. Viens écouter ma perceuse pour enfants. J'ai bu de la Vodka dans ton biberon, j'ai passé la nuit dans tes couches, j'ai vomi dans tes pots de yaourt : l'amour paternel ne fut jamais aussi fort qu'hier soir. Adulte je t'imagine pompier, assureur, écrivain, animateur TV, ou mort. Tu sembles si fragile, nu dans tes langes, molletonné pour te protéger du mâle ; l'ignoble père que je suis, que je ne mérite plus d'être.

Viens, petit, écouter ma perceuse pour enfants.
Dors, je te chuchote une complainte à la scie sauteuse.

Quoi, je ne te fais plus rire ? Mes fables ne t'amusent plus ? Mes imitations t'effraient ? Mes morales ne le sont pas assez à ton goût ? Tu ne parles pas encore : tous ces non-dits m'inquiètent. Je sens trop de détestation dans ton regard. Tu as honte de ton père ? Je ne te maltraite plus par plaisir ; rien ne me dégoûte tant que le plaisir, tu le sais. J'étais du genre à fuir les cours de récréation, bientôt, peut-être, tu y joueras avec tes camarades d'école. Ils te demanderont ce que ton père fait dans la vie. Ne leur réponds pas, crache leur au visage : l'enfance c'est l'humanité à taille réduite. Suis l'exemple de ton père, reste à l'écart, en retrait. Observe-les. Il y a beaucoup à apprendre de leur gesticulation, de leurs paroles creuses, de leurs gestes d'affection, de ce simulacre qu'est l'amitié. Sois attentif, méfiant, car au premier faux pas, crois-moi, ils te mépriseront. Fais-toi fantôme. Cherche l'invisibilité. Serre-moi fort. Ne pleure plus et écoute ma perceuse pour enfants.

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