LA CRUCIFIXION INTIME DE DJ ZUKRY

Hier soir, en relisant mon texte publié dans le numéro zéro de BIGORNO (« DJ ZUKRY se prend pour Dieu »), une vague de déception m’a immergé. En effet, qu’était-ce texte ? Juste un petit caillou inoffensif lancé modestement dans la mare nauséabonde des mots alors qu’il n’y a qu’une seule solution à adopter : jeter un pavé tranchant à la gueule du lecteur; cet individu invisible qui me juge sans me connaître, ou pire, qui croit me connaître.

Lecteur, bienheureux toi qui ne vois pas derrière mon visage blême ce nihilisme vicieux que je combats et n’anéantis jamais. Ce deuxième texte, je le veux agressif et désespéré ; sombre reflet de ma personnalité, celle que tu ne dois pas approcher au risque de t’y blesser. Autodestructeur des Autres.

Je suis là, à cette page, pour crier des insanités à la porte de ma morale, renverser les démons sur le sol boueux de ma conscience, étriper le flic qui sommeille en moi, aller au-delà du Bien, m’enduire de l’étron du Mal, m’évacuer manu militari, m’enivrer de mauvaises pensées, me saouler de mots honteux et souiller le Christ : son corps meurtri par mes clous iconoclastes. Surtout ne jamais se taire. Les Autres le feront toujours à ma place.

Non, lecteur, je ne t’oublie pas. Je veille sur toi, Dieu omniscient et barbare, prêt à bondir sur ton cadavre décati qui est l’essence même de ton corps. Lecteur, tu es une charogne nécrophage. Des preuves ? Tu n’achètes que des livres d’auteurs vivants déjà morts (qu’ils crèvent maintenant les Amélie Nothomb, Philippe Delerm, Alexandre Jardin, Patrick Modiano, Pierre Bourdieu, Jean Baudrillard… !). Tu commences ton journal quotidien par la page « obsèques » (qu’ils disparaissent sur le champ les Ouest-France, Courrier de la Mayenne, Libération… !). Tu arroses de ton inculture dégoulinante la tombe de Jim Morrison (crève encore Jim ! Faux Rimbaud pour sous-hippies mous). Pire, lecteur, lorsque tu daignes utiliser tes deux petites oreilles, tu leur donnes du Rock, du Reggae, de la Pop, du Ska festif ou de la Chanson Française réaliste (ces musiques agonisantes méritent-elles une majuscule ?).

Tu vois, tu as déjà un pied dans ton caveau, le croc en jambes de mon esprit t’y feras entrer entièrement. Le repos éternel ? N’y penses même pas. Je serais ton profanateur exclusif. La pourriture immonde du monde pourri ; là est mon credo: le credo crado anti-démocrate. Une démocratie c’est un peuple qui a le pouvoir. Une autocratie c’est moi qui vous le laisse. Je me sacrifie devant l’autel de ma désespérance. Lecteur, je me pends à la poutre de mon pessimisme enragé. Je n’attends rien en retour. Je ne sais comment te faire comprendre le dégoût que m’inspirent tes deux yeux sur mes mots. Va voir ailleurs ! Peut-être y’a t’il dans ces feuillets une fable pseudophilosophicomoraliste à la Paolo Coelho (toi aussi crève ! écrivain raisonnable).

Je vais t’énoncer clairement la raison pour laquelle j’écris dans BIGORNO : je suis un tueur et ma proie, c’est toi, lecteur. Comprends-tu maintenant pourquoi je ne te caresse pas dans le sens des poils du Beau ? Je ne veux que te gifler. Présentes-moi ton meilleur profil !

Tu sais ce qu’écrivait Verdi : « Ma gloire est une cathédrale de crachats. » Rien ne me ferait plus mal que ton indifférence. Si tu m’oublies ? Alors j’aurais échoué et cette défaite ne me rendra que plus puissant encore, elle renforcera mon extrémisme et la prochaine fois que tu croiseras mon nom sur un support quelconque, je t’assassinerai froidement, lecteur, mon stylo creusant tes entrailles. Jean-Edern Hallier, que tu exècres sans doute, pauvre lecteur, me charge de te livrer ce message que je t’invite à mettre en pratique sans relâche :


« Si tu es un incendiaire, et que tu ne réussis pas à brûler la grange, mets-toi du côté des pompiers et noie-là. »

précédent sommaire suivant