La vie des gens

Jean Baum

Elle allait forcément gicler par quelque part, j’optais pour les orbites. Je reçu la gifle alors que j’entrais dans l’établissement. « Vous étiez seul ? »
« A ce moment précis, oui. »
« De la musique ? »
Non, de la Musak, glucosée, distillant sa chimie à de jeunes grabataires dispersés en grappes selon leurs goûts et attirances, l’un près d’une lampe publicitaire, l’autre non loin des chiottes.
« Connaissiez-vous l’endroit ? La clientèle ? »
-« Un peu, pas vraiment…je n’étais qu’une parodie de moi-même ce soir là. »
« Que veut dire cette expression dans votre bouche ? »
« Dans ma bouche ? »
« Oui... »
-« Pff… je n’sais pas si… »
J’évitais de justesse une discussion portant sur l’interaction potentielle entre les phéromones et le mystère Picasso.
-« Comment ? » En commandant un verre au jeune barman, visiblement je le dérangeais en pleine lecture.
-« J’en sais rien, un magazine, une pub, quelle importance ? »
Il leva brusquement la tête, regarda mes mains puis fit mine de réfléchir.
Une bêche s’abattait maintenant à intervalles réguliers sur une zone que je situais vaguement au niveau du cervelet. Il me fixa comme j’eu voulu que l’on me fixe toujours (vieille rengaine de l’opiomane) ; Son cul rencontra les armoires réfrigérées. A l’extérieur un camion rempli d’armes passa.
Quel visage pouvais-je avoir avant la naissance de mes parents ? Incessant jerk des mots, puissance tranquille de l’haïku. Alors je me lançais dans une imitation malhabile d’otarie quémandant du hareng. Il découvrit de petites dents porcines.
Les glaçons s’entrechoquèrent mollement autour d’un couple de pailles noires, symbole d’un passé révolu, la boisson était fraîche, presque trop. Je portais un slip bleu, nous étions donc vendredi, j’interpellais mon voisin d’une voix un peu forte et bizarrement haut perchée.
« Votre voisin ? »
« Il m’était inconnu, bien que dans le cas présent il fut effectivement mon voisin. »
Il portait un T-shirt promotionnel, pour du dentifrice je crois… Ma mémoire me fait défaut, il y avait aussi ce type à côté de lui, il a cherché la merde pendant un long moment mais il n’a rien trouvé, à croire qu’il n’y en avait pas dans l’endroit, ou qu’il ne se trouvait pas à la bonne place.
« Qu’avez-vous dit à l’autre ? »
Je lui ai dit : « c’est marrant je n’arrive pas à me faire à l’idée que nous sommes vendredi. »Il ne m’a pas répondu, ne m’a même pas fait la grâce de ce regard que l’on accorde par complaisance au dernier des cons, pourtant c’était vraiment marrant.

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