LA RONDE EPERDUE DE DJ ZUKRY |
UNE TRAGEDIE NOCTURNE |
![]() La porte s’ouvre, je toise le videur et m’engouffre dans la discothèque ; ce palace du plouc, ce donjon de l’indigence. Première remarque : le deejay est chauve. Il dodeline de la tête frénétiquement, sans doute pour donner l’illusion qu’il aime vraiment la musique. Les décibels agressent mes oreilles : pavillons sensibles. J’ai très envie que le feu détruise subitement, sans aucune raison, cette minable boîte locale. Les cris d’horreur et de douleur remplaceraient alors les scansions de joie et de bonheur. Comme à mon habitude je me dirige vers le bar. Dans une veine Bret Easton Ellisienne j’aurais pu vous raconter que je suis allé aux chiottes prendre un rail de coke en roulant un billet de 50 Euros - ce genre de détails m’assurant une bonne presse – mais cela ne sera pas le cas, et tant pis si je me coupe d’une bonne partie de mes lecteurs pourtant si friands de modernité branchouillarde. Sans doute ne serais-je jamais « chroniqué » dans Technikart ! J’avais déjà fait une croix définitive sur Les Inrockuptibles : Arnaud Viviant ne me parle plus depuis la mort de Pierre Bourdieu, que j’avais invoqué dans le numéro 2 de Bigorno, n’imaginant pas alors que quelques semaines plus tard le sociologue disparaîtrait à tout jamais. Le serveur au bar ne sourit pas. La serveuse est charmante. Je m’adresse donc au type, juste pour l’emmerder. Je regarde la foule danser. Deuxième remarque : le DJ s’est nettement calmé. Je constate qu’il ne sait pas enchaîner les morceaux sur le tempo. La populace grouillante est trop ivre pour y prêter attention. Bien penser à être modeste. Une ancienne camarade de Terminale me tape sur l’épaule. L’entretien commence mal ; je ne supporte pas la familiarité, surtout chez les grosses. Avec un sourire idiot, qui déjà m’exaspérait au lycée, elle me pose une question que je n’entends pas. Cette fois j’ai bien compris : « Qu’est ce que tu deviens ? ». Je lui raconte n’importe quoi, le plus sérieusement possible : « Je suis écrivain, polémiste, pamphlétaire, poète, pyromane des Consonnes, violeur de Voyelles, aaartiiiiste torturé, tourmenté façon Baudelaire ou Rimbaud, mystique à la Artaud, je suis malheureux mais pas assez télégénique, j’écris dans différentes revues littéraires dans lesquelles je branle le Palindrome entre mes seins lyriques, je suis un salaud, comme tous les Grands Auteurs, mes textes vont me survivre, tu comprends ? Quand je serai crevé ils retrouveront des documents étonnants, mon Manifeste de la pourriture, 300 pages écrites au cutter, du sang entre les feuillets. Tu sais que je connais très bien Philippe Sollers, c’est un casanoviste de salon. Ah, ah !! Tu as remarqué comme je suis spirituel ! A la FNAC mon chef-d’œuvre Crucifiction se vend comme des petits pains : je multiplie mon chiffre d’affaires par deux. Il faut que tu l’achètes, crois-moi ! Je ne vais tout de même pas te l’envoyer, grosse dinde ! Ah, ah !! Quel génie je suis !! ». Elle ne m’écoute plus, tourne de l’œil, la bouche mi-ouverte, l’air hébété d’une lectrice de Christine Angot. Je lui conseille d’aller vomir plus loin, sur une banquette par exemple. Son cul pansu s’éloigne cahin-caha, elle bouscule un type moustachu et disparaît totalement de mon champ de vision. Je ne veux plus parler à personn e, cela m’épuise. Le désespoir me caresse le dos et m’attaque en douce, bien trop lâche pour me tuer directement. Deuxième salle, même sale ambiance. Musique des années 80. Cette décennie-là représente pour moi l’ère du faux, du chiqué et du fluo. Dieu merci je ne l’ai vécu que de très loin : entre 4 et 14 ans. J’esquisse un léger pas de danse et remarque que j’aurais pu être un excellent chorégraphe. Dans mon dernier ballet les danseuses se rouleraient par terre en poussant des soupirs lascifs au son d’une musique oppressante. Je cherche du regard mes amis : MLM est en négociation – sa vie est un entretien de vente - avec une blonde à l’âge encore incertain, il me fait un clin d’œil. Je commande un autre verre d’alcool. Coincé entre deux putes admiratives, Nerf Salissantor, le pigiste malgré lui du Mouton fiévreux, écrit frénétiquement sur un post-it à l’effigie de notre muse Catherine Fayal. Une fois rentré chez moi je finirai de peindre La chambre obscure de Vladimir Nabokov. Je m’exile en Littératur e, rejoins ce vieux Russe bourru, échange quelques phrases en anglais et reviens ici, au bord de la piste de danse. Je sais que ma présence en ce lieu n’est qu’un argument à un prochain texte. Les spots illuminent des pans de phrases. Il est 4h30. Je toise le videur et m’asphyxie d’air pur. Bien penser à mourir. |
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