UN ETE AU PALINDROME
LE VAGABONDAGE FUNAMBULESQUE DE DJ ZUKRY

Un été au Palindrome c'est mettre son inefficacité au service du rien. Tout devient si paisible. Tempo au ralenti. J'hume l'odeur des plantes, cherche un coin de fraîcheur dans un jardin non-climatisé à l'ombre d'une fleur en jeune fille. A la bibliothèque municipale je déboutonne ma chemise à manches longues, une phrase de Paul Léautaud comme soda littéraire, un livre de Jean-Jacques Schuhl comme élégante paille. L'écho lointain d'une voix familière se projette dans le flot des chuchotements : Half promène sa longue silhouette au gré des rayons, frottant ses yeux contre les mots, une allumette sur du soufre ; les rétines brûlées par de la prose-flamme. L'odeur des bouquins me fait chanceler : peu importe le flocon pourvu qu'on ait livresque. Je trébuche sur un amas d'encyclopédies, je me rattrape de justesse à un lecteur du Nouvel Observateur, il me jauge et rend la sanction définitive : « Vous pouvez pas regarder où vous foutez les pieds là ! ».

Je me faufile discrètement vers la sortie ; groggy et en sueur, chaque pas est une seconde de K.O en plus. L'arbitre égrène les chiffres : 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10. Je déclare forfait. Je lève la tête ; mes chaussures n'ont plus rien à me dire. Je sifflote un air de Mambo jusqu'à m'en étourdir : un jour, c'est promis, j'arrêterai l'alcool. Je glapis en humidifiant ma truffe, je suinte de gouttelettes par tous les pores : je suis bel et bien las. L'été m'assomme d'un coup de burin dans les burnes. Là-haut, au quatrième étage, dans mon 42 m², il ne fait pas bon se dorer la pilule ; trop dure à avaler. Je déglutis en douleur, grimpe deux à deux les escaliers en bois ; un jour, c'est promis, je finirai par m'écrouler.

Allongé sur mon lit je grimpe au plafond sans cordage. Dehors ça parlotte à voix haute : " Papa, tu m'achètes une glace ". Je colle des haltères à mes paupières, de plus en plus lourdes ; je m'assoupis. Tout se mélange alors : les souvenirs de vacances au bord de la mer, le sable dans le calbut, les poils pubiens collés à la faïence de la douche collective, la table de ping-pong où les tournois s'improvisaient, le terrain de pétanque où s'entrechoquaient les boules ; puis, plus tard, les bouteilles de Berger Blanc à côté de ma tente : autant de trophées à mon éthylisme. Levé tous les jours à 17h je n'avais vu la plage que de nuit, des connards tapaient bêtement sur un djembé qui ne leur avait rien fait : ça gênait ma poésie personnelle. Je passais des heures à me laisser bercer par le roulis obsédant des vagues ; comme elles je voulais m'écraser contre la jetée et renaître aussitôt.

Au lieu de rêvasser je devrais commencer à écrire, mais je flemmarde ; j'ai l'esprit qui titube, les pensées qui boitent : ma syntaxe tient en équilibre sur un fil de fer, et surtout : comment marquer mon entrée en littérature ? Par un roman policier, un essai philosophique, un journal intime, un pamphlet, un conte pour enfants, un recueil de poèmes ? Non. Juste un chef-d'œuvre. En toute immodestie. Avant de mourir ; laisser une trace de mots, empreintes sur des feuilles blanches, morceaux de chair en papier : mes amis en feront des avions. Mon baptême de l'air en 300 pages. Plus dure sera ma chute. Je digresse, m'égare et les lecteurs me le reprochent. De la provoc', voilà ce qu'ils veulent… les vicieux ! Ils ne comprendront donc jamais rien. La situation est désespérée, tout cela n'est pas grave ; je trace mon sillon. Sur ma platine phono tourne un negro spiritual ; Grant Green, sa guitare blottie entre ses deux bras, m'envoie dans ses six cordes : mon deuxième K.O en 2 combats. L'arbitre égrène les chiffres : 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10. L'heure de ma défaite est venue. Autour de moi tout le monde jette l'éponge.

T'es fini, t'as perdu ton punch, t'as plus la rage, t'es moins mordant qu'avant ; quand t'écrivais La tendresse. T'es tout mielleux ! Laisse donc ta place à des méchants auteurs, des virulents qui bouffent des culs enragés ! T'as eu ton époque ! Tu persifles trop mélodieusement, tu te compromets dans le style, tu t'embourgeoises ! Regarde ce que tu lis, que des mecs de droite, des fachos quoi ! Tu votes même pas, t'es pas utile à la société. Nihiliste ! Tu finiras comme Drieu la Rochelle, un petit suicide et puis s'en va ! ".

La prochaine fois, c'est promis, je vous décevrai encore.

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