J’ai décidé de fêter ma libé dans une baignoire, la mienne, vautré, un bouquin à la main. Jamais fait ça de ma vie. Jamais eu envie non plus remarquez. Mais là, elle est partie, alors je peux me permettre. Libre que je suis. Autorisé à faire tout ce que je n’avais encore jamais eu envie de faire par le passé. Et je me goinfre monsieur ! Déjà avalé 56 des 247 pages de ce putain de bouquin. Je me sens bien. Snob. Snob, mais bien. Snob, donc bien. 58 pages déjà. Je me demande si je n’y vais pas un peu fort. En fait, pas le temps de me poser vraiment la question : déjà le plaisir qui commence à s’estomper. Je feins de ne pas deviner l’origine du malaise (re)naissant et ajoute un peu d’eau chaude à ce bain déjà brûlant. Geste désespéré et vain. Aimerai croire que la musique ne convient pas, mais j’ai foutu Katerine. Non, une nouvelle fois je ne trouve pas d’issue, je dois affronter l’ennemi de face. Je le connais bien d’ailleurs ce salaud, c’est du déjà-vu, du vicelard revanchard à souhait, du teigneux qui s’immisce partout, qui attaque direct l’intellect … La première fois qu’il a chargé, nous en finissions avec notre ultime coït l’Idole et moi. L’inutilité de ce rapprochement physique l’avait d’ailleurs rendu plutôt agréable. L’ennemi chargea alors, simplement, implacablement aussi - comme là maintenant, dans cette baignoire, la mienne - ramenant la vie à un terrible constat : je ne suis pas près de rebouffer des légumes. C’est pas tant que j’aime ça, mais tout de même ça fait bizarre.

Une bonne partie de mes chemises s’est également faite la malle. Notamment celle que je n’ai jamais pourvue des boutons de manchettes qu’elle ne demandait qu’à arborer. Son port, manches exagérément évasées, me donnait un style intello-dandy un brin négligé qui plaisait bien aux filles. Le style à lire en prenant un bain. A écrire dans Bigorno. Tant pis, j’enfile un T-Shirt froissé. La Veuve accueille le célibataire ce soir. Je crains le pire. J’ai raison.

« Tu viens chez moi ? » . Je ne l’ai pas choisie au hasard : elle soliloquait depuis vingt minutes sur les droits de la femme et était la seule représentante du sexe faible dans l’enceinte du bar. Sa victime : un vieil ami, déjà ivre, qui la prenait pour une autre, et pour qui les chiennes de garde sont des sortes de nounous pour animaux de compagnie. Je me demande parfois s’il n’a pas raison. La moche, car il faut bien appeler les choses par leur nom, finit par se surprendre toute seule : « Non ». Je connais aussi ce « non ». D’habitude les patrons de bar le réservent aux clients mignons trop pleins. Je ne suis pourtant pas saoul. Qu’à cela ne tienne, ça va pas durer.

De retour chez moi, je vomis à l’endroit même où, hier encore, les derniers cartons étaient entreposés. Décidément, jamais dans le tempo. Je suis vraiment pas près de rebouffer des légumes.

NERF SALISSANTOR
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