DJ ZUKRY BÉNIT LES COPROPHILES | ||
Ivan est sur scène. Devant lui des ombres difformes applaudissent. On entend la pluie caresser le plafond du Palais Omnisport de Paris-Bercy. Ivan, des perles de sueur le long du dos, s'abreuve de ces hourras qui lui sont destinés. Oui, à lui, Ivan, orphelin de père en fils, dissident communiste, exilé politique, mystique du Rien définitif, slave maudit, palabreur étourdissant. Ivan, 38 ans, au faîte de sa gloire. Ivan tire la barbe de Dieu. Le public est debout comme un seul homme. Ivan pourrait pleurer mais l'émotion est trop forte. Dix ans de travail, d'abnégation et de privation. Il se sent si bien, revigoré pour une année entière. 10 000 spectateurs, au bas chiffre, sifflent d'enthousiasme et se pâment de plaisir. Quelle régalade pour Ivan ! Il en est presque gêné. Patrick Sébastien arrive sur scène et le public, à sa vue, décuple de bonheur. Patrick Sébastien serre Ivan dans ses bras de rugbyman affectueux : accolade amicale. Il faut rejoindre la loge car le prochain numéro est prêt à entrer en scène : " Voici les deux frères Karamazov et leurs ours polaires, doux comme des agneaux, qui bravent courageusement le feu et les flammes. C'est un show extraordinaire, unique au monde, eh oui mesdames et messieurs ! ". Dans le couloir qui le mène à sa loge, le bruit sourd des vivats accompagne Ivan, une serviette blanche à l'odeur de thym autour du cou. Une assistante charmante et courtoise lui enfile avec virtuosité un peignoir. Il se retrouve seul devant le miroir d'une minuscule pièce aux 4 murs remplis de posters de chanteurs de music-hall. Patrick Sébastien a instamment demandé à ce que l'on ne dérange sous aucun prétexte le " Grand et Génial Ivan ! ". Ivan sourit béatement : dix ans d'une vie de misère pour 8 minutes et 40 secondes de pure extase. Il se démaquille lentement et savoure chacun de ses gestes, comme s'il enlevait pour la dernière fois ce fard qui donne à sa peau cette teinte si particulière : clown triste au vague à l'âme. Il regarde amoureusement cette petite marionnette ; c'est elle qui sera toujours la vedette. ![]() |
On frappe à la porte de la modeste loge. Un enfant blond comme l'espoir s'approche timidement d'Ivan, les yeux grands ouverts, les joues rougissantes. Ce sont ces instants là qu'Ivan aime le plus : " Plaisir d'offrir, joie de recevoir ". L'enfant a le regard fixé sur cette étrange marionnette qui, tout à l'heure, parlait d'une voix si fluette et si amusante. Ivan s'en empare du bout de ses longs doigts et là voilà qui parle à nouveau : " Il a l'air bien gentil ce petit garçon, ah oui, ohlalala, n'est-ce pas Ivan ? ". L'enfant est fasciné car il voit bien qu'Ivan n'ouvre pas la bouche. Magie divine de la ventriloquie ! L'angélique enfant s'enfuit déjà, son visage rempli de peur, de timidité et d'admiration. Patrick Sébastien embrasse Ivan et lui demande si tout va bien. Ivan répond positivement mais il est fatigué. Patrick le comprend bien : " C'est vrai, putain, moi j'suis comme toi Ivan, bien sûr, est-ce qu'on est des saltimbanques oui ou merde ? " (clin d'œil qu'on plisse). Ivan accepte volontiers de participer à l'émission spéciale " Y'a un truc ! " du mois prochain, en prime-time, où il en dira plus sur son métier, entre Carlos et Caroline Barclay. |
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