LA PANTHERE AVEC UN STRING
EN PEAU DE PUTE

(NERF SALISSANTOR)

Faut d'abord que je vous explique un peu l'Ardèche. Le Nord de l'Ardèche en fait : Sainte Eulalie, au pied du Mont-Gerbier des Joncs (moi je l'avais presque oublié celui-là). L'usine à hippies, ni plus ni moins, l'élevage de poux. Tous les uns sur les autres, les maisons jamais fermées. Ceux qui, cet été, ont revu certains chefs d'œuvres de Max Pécas visualiseront assez facilement. Les hippies donc. Plus ma sœur qui a atterri là-bas suite à je ne sais quel acharnement divin.

La grosse angoisse, c'est quand je me suis mis en quête d'un distributeur de billets. " T'es au Crédit agricole ? " me demanda ma cadette. J'ai senti le coup venir, gros comme une maison. J'ai pourtant acquiescé. Puis ça n'a pas loupé : " Alors faut que t'ailles au garage à la sortie du village, ils ont un point vert c'est… ". Va pas plus loin sœurette, je vois bien ce que c'est ton truc. Très bien même. Dans les coins paumés comme ce bled, où il faut se taper 15 bornes en bagnole (30 minutes donc), la fameuse entreprise bancaire installe des points de retraits (réservés aux privilégiés de ma caste qui possèdent un compte chez eux) dans des commerces quelconques : des " points verts " donc.

C'était en Bretagne, dans une boucherie, six mois plus tôt que j'avais découvert ce système. Un vrai carnage. L'opération s'avérait assez longue : " C'est le temps qu' " ils " fassent toutes les vérifications " (Ah ? Je pensais qu'ils m'imprimaient des billets neufs). Interminable en fait. Le breton sanguinaire avait passé son temps à me reluquer de bas en haut, tout en martelant frénétiquement un morceau de bidoche, armé d'un immense couteau. J'avais beau poser mon regard sur tout et n'importe quoi, je sentais son œil expert qui, c'est certain, cherchait ce qu'il y aurait de bon à prendre sur mon pauvre corps pourtant bien maigre. Alors forcément : visage qui s'empourpre, jambes qui flagellent et sursautent à chaque coup asséné sur le bout de barbaque, transpiration abondante… jusqu'à ce que le sadique me file les billets tant attendus. J'avais fini par sortir de la boucherie en courant (manquant de me vautrer de très peu). Après cent mètres d'une course effrénée, je m'étais arrêté. Me retournant j'avais pu apercevoir le boucher qui m'interpellait, tout en agitant en l'air un objet que je n'arrivais pas à identifier. Paniqué j'avais repris ma course jusqu'à ma voiture, abandonnant définitivement ma carte de crédit.

Ne voulant pas vivre à nouveau une expérience aussi douloureuse, j'élaborai donc une stratégie qui me permettrait de prendre sur ces artisans-banquiers, une revanche éclatante.

Le garage en question était une sorte de hangar rouillé, un enchevêtrement de pièces en tout genre : pneus, bielles, démarreurs, amortisseurs… (je dis ça mais en dehors des pneus que je suis en mesure d'identifier, je suis pas capable de reconnaître le moindre élément d'une voiture (des bielles, des démarreurs… ça doit bien exister, mais il se peut tout aussi bien que ce soit des freins ou des moteurs de frigo)). Pour prendre l'avantage d'emblée, j'ai pris soin de ne pas rater mon arrivée. Seuls les gens du coin sont censés connaître l'existence du boui-boui banque, alors quand je suis arrivé du pas assuré des gens qui savent ce qu'ils font et où ils vont (dans ce garage comme dans la vie), annonçant très clairement mon désir de retirer trente euros siouplai, forcément ça l'a perturbée la taulière. Je la voyais bien qui, tout en s'exécutant, se triturait son bon dieu de ciboulot - c'est qui celui-là ? d'où qu'on se connaît ? il était p'têt à la soirée de Michel ? attends c'est pas le fils de Victor ? ah non, il a pas un si gros pif (J't'emmerde connasse, t'as vu ta gueule ?) - Pour pas lui laisser le moindre répit, j'ai enchaîné aussitôt en chopant des petites pièces en métal, d'une forme assez incongrue qui se tenaient sur un superbe présentoir rotatif. Je les ai soupesées un bon moment, leur offrant en prime mon regard d'expert (sourcils froncés, léger sourire en coin, hochement de la tête, regard vague : le spécialiste quoi) ; j'aurais pu pousser jusqu'à y aller de mon petit commentaire avisé (bon matos ça, exactement ce qu'il faudrait pour ma bagnole) mais ne sachant vraiment pas de quoi il pouvait s'agir, je suis resté prudent, histoire d'éviter la bourde (une salière ? vous en voulez une ? servez vous c'est un cadeau Total, personne n'en veut, il nous en reste plein. Si, si, je vous dis même plusieurs…). J'ai donc assuré le coup en saisissant le fascicule proposant différentes formules pour les vidanges : feuilleter tranquillement, poser une moue experte indiquant une légère réticence quant au tarif de la formule vidange-filtre à huile-filtre à gasoil puis reposer le tout d'un geste aérien, au moment même où la machine annonça qu' " ils " étaient d'accord pour le retrait. Après ça va vite : composition du code, récupération des billets et de la carte, un sourire enjôleur et un " bonne journée madame " à filer un orgasme à une boulangère et hop fissa, laminée la mécanicienne, la-mi-née. Il ne me restait plus alors qu'à sortir en savourant le triomphe : marcher lentement, fièrement, tel un félin. La panthère avec un string en peau de pute.

NERF SALISSANTOR,
A LA SOIREE D'INAUGURATION DES 24 HEURES DE L'ŒUF DUR,
A DOUARNENEZ
(23 AOUT 2000)

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